Histoires

Détournement en Somalie en 1991



par Peter Kunz HB9MCL

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Après plus de 3 ans de travail intensif pour le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés), je voulais m’accorder une année sabbatique , mais au bout de 2 mois le CICR m’appelle pour une petite mission, 6 semaines max, pour remplacer l’ingénieur responsable pour la Somalie, qui voulait prendre ses vacances annuelles. D’accord, je pars le lendemain.

 

Sur place, à Nairobi, on me résume la situation: la Somalie est un pays sans gouvernement, un chaos total où chacun porte une arme. La famine est grande, il faut une opération immense avec avions et bateaux pour ravitailler la population. Donc les communications radio sont vitales pour toute la coordination. On me prévient: "Tu sais quand tu vas en Somalie mais tu ne sais pas quand tu en reviens!"

 

Une fois à Mogadiscio, première surprise, les voitures Toyota Landcruiser, à l’aéroport et à la délégation ne sont pas marquées avec le logo CICR, mais bien celles qui ont la HF et VHF installés. Une simple explication: ce sont bien nos voitures, volées par les "technicals", et nous louons nos propres voitures pour 100 Dollars US par jour, carburant en plus. Il n'a pas fait long qu'un chauffeur d'une de ces voitures s’approche et me dit: "tu dois réparer ma radio" (dans une des voitures volée). On me presse: "Fais-le avant que cela ne tourne au vinaigre et qu'il te fasse un malheur!". Il faut dire que Mogadiscio était coupé en deux, Moga Sud et Moga Nord, et que nous traversions tous les jours les lignes de combat avec les "technicals" bien armés.

 

Côté matériel de télécom,  je trouve un grand mélange d’équipements. En VHF: des Autophon, des Icom (aussi bien en VHF (airband et marine), qu'en HF des Icom M-700 (voice et Amtor), des Eddystone (mobile) et des Transworld TW100F (portable 100 Watts dans une valise Samsonite). Les premiers équipements satellite Inmarsat – Télex  Standard-C (store and forward) et le Standard-A (téléphone satellite, 48kg, transmission FM 25 khz avec parabole de 1.2m) – bande L. Prix du téléphone: pas loin de 80'000 Francs.

 

 

Comme nous faisons des allers et retours entre Mogadiscio et Nairobi, j'étais content de repartir avec notre avion, un Beechcraft 1900, vers Nairobi. Nous étions 5 expatriés du CICR à bord. Nous atterissons à Kissimayo (Sud Somalie) pour un court arrêt. Le pilote nous demande de monter à bord pour repartir. Lui, il est encore sur le tarmac, loin de l'avion.

 

Soudain, une foule de jeunes militaires armés de Kalachnikovs et de grenades se précipite et embarque aussi. Leur chef met un pistolet contre la tête du co-pilote et lui ordonne de décoller immédiatement. Je vois transpirer notre jeune Italien et il se met en action. Il démarre les deux moteurs en même temps. Je vois le thermomètre de la batterie (NiCad) monter à 150deg, mais elle tient le coup. Notre avion commence à rouler, la porte arrière encore ouverte. On la ferme, mais notre pilote n'est pas dans l'avion! Par le hublot, je le vois courir. On dirait qu’on fait un film de Laurel et Hardy. Nous prenons de l’altitude et les négociations avec les rebelles commencent. Un de ceux-ci me montre la grenade dans sa main et me dit: "tu fais ce que je te dis sinon"...

 

"Nous voulons aller au Caire". "Le fuel ne permet pas cette destination" répond le co-pilote. "Alors à Addis-Abeba". Toujours impossible. Le co-pilote propose Mogadiscio ou Nairobi. En brûlant une bonne partie de notre fuel en tournant eu rond au dessus de Kissimayo, ils finirent par être d'accord avec Nairobi. La batterie calme, les radios enclenchées, le pilote annonce le détournement  à la tour du Jomo Kenyata international airport. Nous obtenons une priorité d’atterrir, tout autre trafic aérien suspendu. Le pilote nous dit que nous sommes environ  400 kg trop lourds, au dessus du maximum que la structure de l’avion peut supporter. Il ordonne qu’on partage ce poids. 2 à l’arrière, 2 ensuite, etc. alors que nous étions 20, lui compris.

 

Il nous explique qu’il devrait faire un atterissage parfait en 3 points, sinon l’avion se cassera en deux. Tout se passe bien et nous voilà au sol, mais une longue négociation commence à la fin de la piste, aéroport bloqué. Les autorités kenyanes nous envoient des camions de pompier et un grand fourgon de police. En voyant ça par les hublots, nos rebelles sont devenus très nerveux. Avec un seul moteur de l’avion, le peu de fuel restant nous permet d’avoir un peu d’air conditionné et surtout de la VHF de com avec la tour de contrôle. En priant la tour d’évacuer tout ce bazard, la turbine s’arrête, faute de carburant, la VHF fonctionnant alors sur le solde de courant de la batterie. Des heures passent, nous à l’intérieur de l’avion, bien au chaud en train de négocier seuls avec les rebelles. Certains d'entre nous ayant des besoins urgents, une interruption des démarches  nous permet de sortir de l'avion et de faire pipi sous l'avion. Nos "hôtes" sont devenus raisonnables et acceptent de déposer leurs armes sur la piste. De notre coté, nous leur offrons de négocier leur sort avec les autorités kényanes.

 

Finalement le fourgon de police est venu embarquer les clandestins et nous ne les avons plus jamais revus. Notre chef de délégation descend de la tour de contrôle (où il a négocié) pour nous recevoir. Encore une fois, nous vivions un happy end.

 

Peter Kunz HB9MCL

 

 

 

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