La frayeur de Sarajevo, 1993
Par Peter Kunz HB9MCL
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Basé à Zagreb, je devais m'occuper de la Croatie et de la Bosnie, concernant les installations de télécom. En arrivant en 1993, les installations, faites à l'arraché par mes prédécesseurs, étaient toutes à refaire. Ce n'était pas de leur faute, car chacun avait une mission de 2 mois et leur mandat disait: "Cette guerre ne vas pas durer longtemps, faisons le minimum nécessaire".
Je retrouvait des antennes dipôle juste posées sur le toit, faute d'avoir un mât. La secrétaire dans le bureau me disait: C'est drôle, quand je parle avec l'émetteur HF, l'imprimante matricielle se met en route... Une autre fois, une opératrice m'appelle, je dois vider la sous-tasse sous mon SWR-mètre tous les jours ! De l'eau coule du câble coaxial qui vient du toit. Après investigation, c'est un tuner d'antenne automatique sur le toit qui s'est rempli d'eau et qui a gelé. Au printemps, la fonte des neiges s'évacuait par le coax, mais le tuner dans un bloc de glace fonctionnait toujours...
Les communication en HF, presque inutilisables car les distances entre les délégations et les voitures étaient voitures trop courtes pour les 40/80m. Nos expériences de l'Afrique en zones tropicales ne s'appliquaient pas en Europe. Il fallait trouver un moyen de rayonner vers le haut pour raccourcir la zone morte. En plus, les antennes sur les véhicules, des fouets, rayonnaient horizontalement, donc pas vers le ciel. Les VHF, dans les montagnes de Bosnie, n'létait pas utilisable non plus. Installer des relais VHF était la solution mais leur vie était courte, le matériel disparaissait... Un seul répéteur survivait, sur une colline vers Osziek, à mi-chemin entre Zagreb et Belgrade, sur une tour de télévision. Sur cette tour, plusieurs émetteurs FM avec 10KW nous saturaient nos répétiteurs Motorola GR300 (en principe 2 postes mobiles GM300 back to back). En plus nos licences (RX 158MHz, TX 146 MHz) ne permettaient pas de disposer de conditions idéales. Au lieu d'utiliser un duplexer, nous avions simplement deux antennes 2 antennes Hustler G-7 superposées. Deux antennes directionnelles yagi à Zagreb et Belgrade permettaient d'avoir une liaison phonie de temps à autre via Osziek (300km).
Pourtant ces communications étaient vitales pour nos convois et la sécurité de nos délégués. Les messages écrits passaient via Inmarsat Standard-C. Un moyen très cher, surtout que nous devions payer chaque Bit transmis et que les accents du français nous obligeaient à transmettre 8 Bits par caractère (au lieu de 7 pour l'anglais par exemple). J'eus donc la tâche de remplacer ces postes satellite par un autre moyen de transmission moins cher. Une mailbox à Zagreb, dans ma maison, fit l'affaire. En combinant le Pactor en HF, avec une antenne loop horizontale, et du packet radio 4800Bd en VHF, les choses prirent forme. Sur VHF, un amplificateur de puissance Beko (400W) cartonnait vers la Bosnie et la Crayna (Bihac).
Petit à petit, nos bureaux furent équipés de ce système. Pour passer les checkpoints militaires, tout ce que nous emportions devraient figurer sur une liste remplie avant le départ. Mais un modem Pactor ne passait pas. Nous le mettions donc en pièces séparées et le remontions de l'autre côté de la frontière, ou encore, le faisions voyager dans les doublures de porte de nos voitures Toyota Landcruiser.
Il me restait à déménager le bureau de Sarajevo et ses équipement importants de télécommunication. La spécialité du CICR était d'avoir une représentation tout près du front, ce qui impliqua de déménager notre bureau à la "Sniper-Allee" , la grande route avec les trams qui se faisaient tirer dessus tous les jours depuis les hauteurs. De gros blocs de béton furent déposés autour de notre bâtiment comme protection, nos bureaux étant au rez-de-chaussée. Un chauffeur nous conduisait dans une Landrover blindée en kevlar depuis l'aéroport en ruines.
Pour l'antenne HF sur notre bâtiment, la place était limitée et l'antenne VHF trop basse. Nos employés, très chevronnés, me proposèrent de les installer sur la maison juste derrière la nôtre, un bâtiment de 5 étages duquel nous pourrions tirer un coax et le 12V pour le tuner via un câble de support d'environ 80 mètres de long. Après examen, nous attaquâmes la pose dès le lendemain, avec 4 personnes pour monter le matériel et les 5 étages sans ascenseur. Avec également un petit générateur pour la perceuse.
Après être monté sur le toit, j'ai repérai vite l'endroit idéal pour monter le mât de la delta-loop. Je me mis au travail en commençant par percer les trous de fixation des brides sur le mur. Et tout-à-coup je m'aperçois qu'il n'y a plus personne autour de moi. Où sont mes ouvriers? J'ai besoin d'eux pour tenir le mât! L'un d'entre eux se montre derrière le mur et me crie: "Que veux-tu comme fleurs sur ta tombe?" . "Pourquoi?" leur réponds-je. "Parce qu'en face, dans les ruines des immeubles calcinés, il y a des tireurs d'élite (snipers) qui te voient avec leurs jumelles", me répond-il. "Tu es inconscient, tu n'as ni brassard ni dossard du CICR. Pour eux, tu es un Bosniaque quelconque qui installe des choses bizarres. Ca pourrait ne pas leur plaire!".
Je termine tout de même l'installation en tremblant, il fallait que ça fonctionne du premier coup. Je ne voulais plus remonter là-haut... Si cette installation n'est pas détruite, je suis sûr qu'elle pourrait encore marcher aujourd'hui...
Peter Kunz HB9MCL
Mission à Sarajevo du 21 septembre au 10 octobre 1993
Référence
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